
Il n’est pas loin de midi. C’est l’heure fatidique ou les postés s’impatientent alors, les portables commencent à sonner. Que faire de plus désormais hormis se geler au courant d’air sur une palette accrochée à cinq mètres du sol ou se rouiller dans l’humidité du sous-bois, dissimulé derrière un cèdre ou un buisson…Tout ça pour rien. Un beau sanglier suffit pour la matinée. Par téléphone, Georges envoie à chacun le signal du retour. Quelques bons coups de klaxon finiront d’avertir les plus durs d’oreille. C’est le retour à la barrière. Certains raniment déjà le feu qui a couvé toute la matinée. Une à une, à la queue leu leu, les voitures arrivent et se garent silencieusement le long du chemin. Le cortège reprend la position de ce matin, mais dans la position inverse. Tout le monde vient examiner l’animal abattu comme pour mieux en apprécier la couleur, la taille des défenses et aussi estimer le poids. Les commentaires vont bon train. Et autour du feu qui a repris de plus belle, ça tourne vite à la véritable cacophonie. Par petits groupes, chacun refait la chasse, raconte sa chasse avec fortes intonations et jurons lorsque, revivant la situation, celle-ci a échappé à son narrateur. Les chiens sont aussi mis en cause. Celui-ci n’aboie pas assez, tel autre va trop vite, et celui-là encore suit la trace de n’importe quoi ! Gérard et Benoît s’accrochent justement à propos des chiens. La tension monte rapidement entre-eux. Par quelques plaisanteries, un membre de l’équipe essaie de détendre l’atmosphère. Mais les protagonistes demeurent imperméables aux signaux extérieurs et comptent bien mener leur désaccord jusqu’au bout.
Avant que la troupe ne se disperse, Georges lance à la cantonade :
— N’oubliez pas de venir “espiller” cet après-midi. À partir de 14 heures !
Oui, il reste encore à dépecer le sanglier puis découper la viande en autant de parts que de chasseurs. Cette opération, requiert une bonne expérience et beaucoup de dextérité. Le dépeçage doit se faire proprement d’une seule traite, sans abîmer la viande. Les chasseurs sont habitués à cette opération qui se passe toujours chez le chef de battue dans une bonne ambiance. En moins d’une heure, dépeçage et découpe seront terminés. Chacun repartira avec son sac plastique blanc rempli d’une viande parfaitement saine…sans hormones. Pendant que les deux collègues tentent toujours de se convaincre l’un l’autre du bien fondé de leurs affirmations, les plus pressés rangent leur fusil, claquent les portières et quittent la place en saluant la compagnie. Georges examine une dernière fois les tracés des chiens sur l’écran et déconnecte les colliers GPS.
Quelques uns ont décidé de déjeuner ici, autour du feu. Louis, qui est sans doute le plus âgé de tous tient à son confort et de sa camionnette, il sort et installe en deux secondes table et chaise pliantes. Les autres, se trouveront bien un rondin quelque part pour accueillir leur séant. Deux ou trois saucissettes, quelques pâtes, un bon vieux fromage et un vin du Ventoux issu des vignes environnantes, égayeront le repas qui sera sans doute bien arrosé. De toute façon, depuis de nombreuses années il n’y a plus de chasse l’après-midi. Ainsi en a décidé le chef de battue lorsque certains avatars se sont produits à la suite de déjeuners un peu trop chargés. La responsabilité du chef d’équipe est entièrement engagée dans tout incident causé par un membre de son équipe ou par les chiens. Après avoir suivi de nombreuses chasses, je suis un peu étonné du nombre de matinées ou l’équipe est revenue bredouille.
Je pensais qu’une partie de chasse se soldait, compte tenu des moyens techniques existants, systématiquement par l’abattage de gibier. Il n’en est rien. De nombreux facteurs difficiles à prendre en compte ou à concilier font déjouer bien souvent les objectifs de la battue. Cependant, la population des sangliers ne fait que progresser grâce à une reproduction exceptionnelle. Dans le Vaucluse, le plan de chasse prévoyait l’élimination de 14 000 sangliers. Pour cette saison, 11 000 bêtes ont été tuées par les chasseurs. Le quota n’a pas été respecté. Dans le Gard, 24 800 sangliers ont été abattus pour la saison 2012–2013. Les indemnisations allouées pour les dégâts de la vigne, ont représenté un montant de 250 000€ en 2011–2012. Il n’est plus rare de rencontrer la bête noire près des agglomérations, le soir ou le matin tôt, en promenant son chien. Sans véritable prédateur, le sanglier tend à envahir progressivement tous les espaces de l’homme. Le retour du loup, serait-il l’épilogue souhaité à la prolifération du sanglier ? J’en doute beaucoup. La présence du loup, qui peu paraître sympathique à certains, n’est en fait qu’une aventure artificielle, tenue à bout de bras par quelques nostalgiques sans véritable connexion avec les zones rurales et pastorales du pays.
C’est fini…
Pour vivre quelques moments (avec l’accent) cliquer sur la vidéo ci-dessous.










Pendant ce temps nous délivrons enfin les chiens qui tournent quelques instants autour de nous pour uriner. Le piqueur remonte un sentier près d’un trou d’eau, en appelant les chiens. Ces derniers sillonnent au milieu des buis touffus à la recherche d’une odeur d’animal sauvage. Gérard les appelle pour les mettre sur le pied. En quelques instants bêtes et piqueur ont disparu dans l’épaisseur de la frondaison. Nous distinguons juste les grelots des chiens qui s’éloignent au fur et à mesure qu’ils prennent la pente. Avec Georges, nous montons inspecter le trou d’eau.




Dans le chenil, c’est une véritable cacophonie qui redouble de fureur dès que la voiture s’approche des enclos grillagés. D’une voix ferme et autoritaire, Georges impose le silence aux bêtes particulièrement excitées. Georges connaît bien les chiens. Ce sont les siens. Sa passion, c’est la chasse au sanglier et cette passion ne peut se passer de bons chiens. Ce matin, Éliott, Géna, Ventoux et Caneau sont les heureux élus sur les 24 chiens présents au chenil. Pas de hasard dans ce choix. Chaque animal est choisi en fonction de ses qualités spécifiques. L’un aboie d’une voix forte et rauque facile à identifier au plus profond d’une combe ou d’un vallon. Cet autre est persévérant derrière un sanglier et ne change pas de trace pour celle d’un chevreuil. Ces deux là ont l’habitude de chasser ensemble et font la paire pour plus d’efficacité.

















Virginie Jeanne est un petit bout de femme à l’air jovial, aux cheveux rouges (et oui, sa coiffeuse a un peu raté sa couleur me dit confie t’elle). Ne vous méprenez pas, malgré son allure de jeune fille, cette charmante jeune femme de 47 ans est la maman de 2 grands garçons de 19 et 21 ans.
Dans l’entrée de l’atelier, des peaux roulées, de toutes les couleurs rangées sur un présentoir, s’offrent au choix du futur client ou du visiteur curieux.
Pour la démonstration, Virginie sort le patron d’un cartable porte-monnaie réalisé dans un plastique un peu rigide. À l’aide d’un crayon argent, elle trace à même le cuir la forme du modèle. Des repères sont reportés sur la peau. Ils serviront ultérieurement à positionner la poignée par des rivets, le petit fermoir métallique…
La découpe se fait au chasse-peau sur une plaque de zinc.
Suite à la découpe, le bord du cuir est passé à la flamme afin d’éliminer les petites peluches. Chaque bordure est ensuite teintée à l’aide d’une couleur liquide qui sent bon l’amande, comme les petits pots de colle blanche font ressortir les souvenirs de notre enfance. Aujourd’hui, ça sera du noir pour ce cuir rouge. Demain, selon l’humeur de Virginie et la peau choisie, ça sera peut-être blanc ou tout simplement laissé au naturel. Une obsession du travail bien fait jusque dans les moindres détails. Ces petits détails qu’un client attentif, ne manquera pas de remarquer.

C’est sur la vieille machine à coudre Singer des années 30/40 que Virginie fait un essai afin de régler le pas de couture. Machine à coudre spéciale “cordonnier” avec un bras très long pour coudre les tiges des bottes et confectionner les chaussures. Cette Singer à haute performance, travaille avec une extrême précision et une grande finesse, à tel point qu’il est possible de coudre de la mousseline sans aucun problème. La hantise de l’artisan, c’est la casse d’une pièce. Les pièces de rechange sont désormais difficiles à trouver. Refaire des pièces par usinage reviendrait beaucoup trop cher, sans doute plus cher que la machine à coudre elle-même.
L’anse est rivetée sur le porte-monnaie. Avec la pince à monter, Virginie met en place la fermeture. Le cartable porte-monnaie est maintenant terminé.
Avant de se quitter, Virginie me désigne une grande malle en bois ayant appartenu à son père. Avec précaution comme un coffre révélant quelque secret, elle me montre des patrons de chaussures (même un modèle de chaussures de clown), dessinés au dos de papiers de récupération, comme on le faisait autrefois pour économiser le beau papier.
Elle plie et déplie les gabarits en papier jauni, caresse avec douceur les croquis annotés au stylo bleu. Toute la vie d’un homme se trouve là, consignée dans ce coffre en bois. C’est l’émouvant passage de témoin d’un artisan cordonnier à sa fille pour que vive encore longtemps le monde de la création, l’harmonie de l’intelligence de la main et de l’esprit.






