Arbres de liberté.

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C’est avec quelque retard, que je mets en ligne les aquarelles du Cotentin réalisées cet été ainsi que les aquarelles toutes fraîches, peintes au mois de septembre dans le Vaucluse.

Les arbres font partie des principaux motifs que j’ai pu étudier ces trois derniers mois. J’ai particulièrement apprécié leurs différentes caractéristiques, qui font de chaque arbre un sujet unique, à l’égal des êtres humains. Je m’étais fixé une séance de trois heures de peinture par jour. Avec obligation de terminer chaque aquarelle dans la même séance. Objectif atteint pour le Cotentin et partiellement réussi dans le Vaucluse compte tenu de nombreuses diversions.
Le dessin d’un arbre, m’est toujours apparu comme une figure très difficile à rendre. On fait un tronc, les premières grosses branches, et puis ensuite, tout s’embrouille avec le feuillage. Les ramifications partent dans tous les sens. Il est toujours délicat d’en finir les extrémités qui vont se fondre dans le ciel.
Je vois très souvent des amateurs se lancer dans la peinture de paysages et buter sur l’expression des arbres. Ceux-ci sont souvent représentés de façon “maladroite, enfantine” car il n’y a pas eu de la part de l’artiste, de vécu, de réalité avec son sujet. L’arbre est un “personnage” à peindre pour lui-même. Et le saisir en vrai, sur le terrain, en plantant son chevalet sous son chapeau de verdure, c’est le vivre dans toute sa complexité.
En abandonnant la photo pour le pinceau, mon temps dédié à l’observation s’est rallongé considérablement. Ma relation avec le paysage et plus particulièrement avec les arbres, s’est développée jusqu’à entretenir avec certains sujets une relation amicale, familière, presque obsessionnelle. Certains arbres m’ont attiré bien plus que d’autres et je les ai peints sous différents angles sans me lasser. Normal, on devient vite intime avec quelqu’un que l’on côtoie de longues heures tout en partageant le même silence.

Nouvelles aquarelles

De l'eau, de la couleur et des pinceaux.

De l’eau, de la couleur et des pinceaux.

Ces toutes dernières aquarelles, mélangent paysages du Morbihan et paysages du Cotentin. Je ne garantis pas l’exactitude des lieux. L’intention est de parvenir à représenter des espaces qui paraissent véridiques tout en y intégrant des éléments qui sont étrangers au lieu ou déplacés. La représentation figurative, n’est finalement pas synonyme de vérité. Chaque réalisation est donc construite en empruntant ici et là formes et couleurs pour finalement créer un univers dans lequel j’aime “voyager et me fondre”.

Cotentin à la marge

Dunes d'Hattainville

Dunes d’Hattainville

De lourdes barres roulantes et broyantes, filent à l’unisson des vents venus au-delà des îles anglo-normandes. L’obscurité chahute avec le demi-jour. Chaque déchirure révèle soudainement les êtres et les choses qui se trouvent là ! De son voile de carbone le ciel enveloppe le paysage, le malaxe jusqu’à plus fin pour en extraire toute sa débonnaire douceur et lui donne alors une dimension fictionnelle. La presqu’île du Cotentin s’avance  en mer au plus profond, telle un navire dont les flancs blanchis d’écume narguent le ressac. Au-dessus de ma tête, lumière et pénombre se livrent un combat digne d’une tragédie wagnérienne. Les chemins d’hier, creux et ombragés, si prompts à protéger contre le souffle né de la mer, sont devenus opaques et profonds, et semblent diriger le promeneur vers la couche d’une sombre créature diabolique.

Les “mielles” sauvages et dénudées, courbent l’échine, assouplissent leurs crêtes sous les assauts du vent. Arbres et oyats plongent leurs racines torturées au plus profond de la matrice pour gagner une fois encore le droit à la vie. Ruisselant sous une lumière crépusculaire, le sentier à hauteur de goéland, n’est plus qu’une vilaine scarification faite à la côte et tente par un dernier détour d’honorer quelques religieuses ruines.

Sous la chapelle, au plus sombre d’une anfractuosité, en veines rougissantes, affleurant la roche noire encore humide, le sang indélébile du dragon de Carteret – vaincu par St-Germain-Le-Scot – renaît à chaque jusant dans l’imagination des hommes.

Sur le havre, dans un appel pathétique, quelques épaves rongées au sel, tentent d’attirer le regard en espérant entreprendre – peut-être – un ultime voyage. Déconstruits, reconstruits, remaniés ou défigurés, manoirs et propriétés sont figés dans leur silence. Nulle cour ne résonne des murmures de la vie. Nul parc ne s’anime des jeux d’enfants. La lumière passe indifférente sur les façades alors que dans l’ombre des tours se cachent de glaciales tragédies. Le chateau des Ravalet n’a t’il pas accueilli les amours incestueuses de Julien de Ravalet et de sa sœur Marguerite. Les deux beaux jeunes gens, dont la tendresse remontait à l’enfance furent décapités en place de grève par une froide journée de décembre à Paris en 1603.

Inspiré par cette terre bordée par la mer et envahie par les marais, l’esprit de Jules Amédée Barbey d’Aurevilly n’a de cesse de vivre dans chaque lieu, dans chaque demeure autour de Saint-Sauveur-Le-Vicomte. Sa modeste tombe, désertée, soupire d’ennui dans l’ombre bleue du massif donjon, monolithique survivant de la guerre de Cent Ans.

Sous mes yeux, tout se recrée, se fond et se confond. Ma vision n’est plus que le mélange de la matière brute saisie à celle de sédiments personnels longuements maturés. Chaque élément qui m’entoure devient le déclencheur d’émotions plus profondes, naviguant en basses eaux. Il me faut laisser la force du visuel s’éroder lentement. M’en imprégner pour mieux le rendre, non pas conforme à ce que les autres en attendent, mais l’habiter de manière intime, le faire renaître chargé de sa proppre histoire. Ainsi, l’image n’est plus une image, mais devient un lieu incarné. Le brillant de l’éphémère immédiateté s’efface au profit de l’essence même du sujet. Il ne s’agit plus de reproduire les choses telles qu’elles sont vues, mais telles qu’elles sont ressenties. La couleur a déserté les images. Comme si l’habit chromatique avait été trop clinquant, trop “m’as-tu-vu”. Les musiciens le savent bien, la partition a beau être écrite en noir et blanc, l’interprétation libère les plus belles “couleurs que l’œil puisse entendre”.

(Clic sur l’image)

Retrouvez mes photos sur le site Regard Perdu.

Algérie. Une mauvaise guerre

Raymond et Yvon Lebrun à Carteret (Manche)

Raymond Hamel et Yvon Le Brun à Carteret (Manche). Le 8 mai 2013

Je les ai rencontrés tous deux s’en allant tranquillement, leurs drapeaux sous le bras avec sans doute le sentiment d’un devoir de mémoire bien accompli.

Il y avait peu de monde pour cette commémoration du 8 mai 1944 à Carteret (Manche). C’est une évidence, presque plus personne ne se soucie de commémorer des événements qui s’éloignent de nos mémoires. Et puis, les anciens combattants, ceux de 14/18, ne vivent plus que dans les récits. Ceux de la dernière guerre sont de moins en moins nombreux et bientôt auront rejoint leurs camarades de combat. On parle toujours de 39/45 comme l’évidence de la dernière guerre. Mais n’aurait t’on pas la mémoire sélective ou mal formée pour oublier que la guerre d’Algérie fut une véritable guerre et que des milliers de soldats français sont morts sur une terre qu’ils n’avaient pas choisie.

Raymond Hamel et Yvon Le Brun, en ce jour du 8 mai 2013 représentent ces anciens combattants de la guerre d’Algérie. Qui étaient-ils ces discrets “soldats” d’une guerre qui eut du mal à dire son nom. Entre 1954 et 1962, près de 2 millions de jeunes soldats français se sont succédés en Algérie. De tous temps les politiques ont su mentir au peuple pour mener à bien leurs desseins. L’intervention en Algérie fut appelée “simple opération de maintien de l’ordre”. Il était question de réduire quelques rebelles menaçant la république française en Algérie. Et la population trompée crut longtemps cette fable. En quelque sorte, le contingent d’appelés et leurs familles imaginèrent vivre une “expérience touristique”. N’est-il pas habituel de dire que les voyages forment la jeunesse !

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Yvon Le Brun, jeune appelé en Algérie.

Cette jeunesse là, elle est revenue…ou pas ! Ces adolescents qui avaient 20 ans se sont révélés en hommes, mais en hommes morcelés, meurtris avec le sentiment d’avoir fait une guerre sans vraiment la comprendre. De retour en France, à la descente des trains, des bateaux, ils sont totalement dépaysés. L’accueil sur la terre patrie est bien indifférent, voire hostile. Ce n’est pas la fête tant attendue qui célèbre le retour des héros valeureux, ou des combattants d’une juste cause. Les appelés trouvent peu de soutien, peu d’écoute, comme si cette guerre de l’autre côté de la Méditerranée avait anesthésié peu à peu la population française. L’époque a changé, la France est entrée dans une nouvelle modernité. L’heure est à l’exubérance, à l’outrance. C’est l’heure des “yé-yé”, Claude François est une idole, outre manche les Beatles enregistrent leur premier disque. Personne ne veut plus rien avoir à faire avec cette “guerre” qui a divisé les Français. Alors, les appelés d’Algérie ont enfoui leur peur, leur sueur, leur fatigue, leur détresse au plus profond d’eux-mêmes. Leur parole s’est faite discrète, secrète même pour ne s’ouvrir qu’en de rares occasions.

L'album photo revoit le jour après des années de mise à l'écart.

L’album photo revoit le jour après des années de mise à l’écart.

C’est la femme d’Yvon Le Brun, Sabina, qui est allé cherché l’album photos là-haut, enfoui dans l’armoire de la chambre. Cet album à la couverture de cuir, c’est celui qui raconte en quelques pages toute la vie gâchée d’un adolescent parti à 19 ans contre son gré en Algérie. Il saisit l’album que lui tend Sabina.
— Ça fait longtemps que je ne l’ai pas vu celui-là ! Les 3/4 de mes photos, c’est ma sœur aînée qui les a. Quand j’écrivais, j’envoyais des photos. C’est elle qui les récupérait. J’avais envoyé des photos qui étaient assez “dures”. Elle n’a jamais voulu me les rendre. Elle ne veut même pas que je les regarde. Elle me dit “ça va te faire des misères !”.

L'ennui en poste au régiment. Yvon Le brun préfère assurer ses fonctions de radiotélégraphiste sue le terrain.

L’ennui en poste au régiment. Yvon Le brun préfère assurer ses fonctions de radiotélégraphiste sur le terrain.

Le regard s’attarde sur les premières photos dévoilées. En silence. Yvon prend son temps. Il plonge lentement dans un quotidien figé là en noir et blanc ou en sépia. Des toiles de tentes à perte de vue, des hommes en djellaba, du désert, des pierres, de la misère surtout. Le premier choc.
— Oh là là ! Je n’ai pas regardé ces photos au moins depuis 40 ans. Ça me fait tout drôle.

Dans l’album, sur les pages de gauche il ne reste plus que quelques traces de colle. Les photos ont disparu. Yvon ne sait plus ou elles sont.
— Ça, c’est Trézel. Il y avait un rassemblement. Un colonel  nous a annoncé “On vous maintient 3 mois de plus. Qu’est-ce que c’est que 3 mois dans la vie d’un homme !” Là, à l’annonce, il y a des mecs qui sont tombés dans les pommes. Faire 3 mois de plus, c’était augmenter le risque d’y passer. Moi, j’étais radio télégraphiste (morse). Quand il y avait un officier avec un radio à côté, c’est le radio qui dégustait. L’ennemi savait qu’un officier ou une compagnie ne pouvait plus rien faire sans le radio.

Sur le terrain avec les "potes.

Sur le terrain avec les “potes.

En tournant les pages, le papier cristal de protection se froisse, brise le silence. Les noms des copains peu à peu reviennent au regard des photos. Les souvenirs se font aussi plus précis. Il pose un doigt assuré sur certains visages. Hésite sur d’autres. Il me montre.
— Là, c’étaient des “potes”. Lui il a été blessé. Lui, c’était le marrant de la bande. Vous voyez, ce n’est pas du baratin ce que je vous raconte !

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Le colonel Bigeard comprend très vite l’intérêt de l’utilisation des hélicoptères (Vertol H-21C ou “bananes volantes”)

Yvon confirme de temps à autre l’authenticité de son récit, comme si ce dernier pouvait être mis en cause ou contrarié. Il y a un besoin de rendre palpable “l’indicible”.
— Au régiment, je me faisais “chier”. Pour moi, ce n’était pas ça. Il me fallait être sur le terrain malgré le danger. Lors d’une opération héliportée, un gars s’est fichu de moi parce que je me suis allongé à la porte de l’hélico. Pauvre gars. La différence c’est que moi je suis vivant et que lui est mort. Il a pris une balle. Plus vous êtes à plat, moins vous êtes une cible, surtout à une porte d’hélicoptère comme ça. L’hélico restait toujours à 2, 3 mètres du sol. Il fallait sauter. J’ai fait passer la “gégène” devant moi et j’ai plongé la tête la première. Ça m’a sauvé.

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Automitrailleuse légère Panhard.

L’homme parfois se redresse de la table en croisant les bras comme dans un geste de défense. Il semble retenir ses sentiments ou peut-être se protéger de lui-même. Peur de trop en dire, crainte de se laisser submerger par ses sentiments, par ses souvenirs. De temps en temps une larme se forme au coin de ses yeux. La souffrance intérieure est sans doute trop forte. Je ne veux pas trop insister. Je laisse à Yvon l’initiative du rythme de son récit.
— On allait vers une ville…je ne me souviens plus du nom de la ville. Nous étions dans le 4×4. Là, on était 3 radios, plus un homme de garde et le chauffeur, un normand que j’aimerai bien retrouver. Et, on se fait klaxonner par une jeep derrière nous qui avait visiblement une urgence. C’était un gradé. Notre chauffeur râle un peu, puis s’écarte pour le laisser passer. La jeep nous double à toute vitesse. 150 mètres plus loin…une boule de feu. Il a sauté sur une mine. Logiquement, c’était pour nous car on était en tête. Ça, ça fait réfléchir. La chance, le hasard, la destinée…Pourquoi lui au lieu de nous ? On en a parlé longtemps entre nous et dans la compagnie.

Sur les photos, je ne parviens pas à reconnaître Yvon. Je vois des jeunes hommes, unis, souriants, un bras posé sur l’épaule du copain, de l’ami en signe de fraternité. Il y a les visages de ceux qui sont morts, qui resteront à jamais imprimés autant dans la mémoire que sur le papier photo. Il me parle de la torture qu’il n’acceptait pas. Mais pour lui, c’était des actes pratiqués par des “équipes spéciales”. Il était rare que des appelés soient mêlés à ces exactions.
— Une fois, j’ai assisté à une scène de torture. J’ai fait halte là à tout ça. Je me suis présenté au garde à vous au capitaine et je lui ai dit que ça ne devait pas exister ça ! Mais enfin, dans le fond…après, ils faisaient ça ailleurs. Il ne fallait pas se plaindre, au 1er régiment on était “propre”. Il y avait une sorte de respect. C’est quand même un régiment qui a un sacré historique. Fondé en 1479 par Louis XI. “Praeteriti fides exemplum que futuri” (Fidélité au passé et exemple pour l’avenir). On devait aussi honorer notre devise.

Au moment du départ en opération, Yvon Le Brun agenouillé à droite sur la photo.

Au moment du départ en opération, Yvon Le Brun agenouillé à droite sur la photo.

Les moments de silence se font de plus en plus présents. Yvon me parle encore un peu de son retour en France, des regrets, du mal qu’il aura à vivre après avoir refermé l’album photos. Je comprends qu’il est temps de clore bientôt l’enregistrement.
— Le retour, s’est fait dans l’indifférence. Il fallait ménager les susceptibilités du peuple. Ma mère, elle, croyait que j’étais en vacances là-bas. La radio racontait ce qu’elle voulait. Que des mensonges. Les parents croyaient qu’on était en mission de maintien de l’ordre. Maintien de l’ordre, qu’est ce que ça veut dire. Pour éviter les manifestations. Mais, ce n’était pas du tout ça. C’est pour ça qu’on n’aime pas en parler. Là, j’ai l’estomac noué. Je suis quelqu’un d’assez calme. Mais ça, ça me travaille. Et si j’en parle, pendant 8 jours je ne vais pas dormir. Il y a trop de souvenirs qui reviennent et là, c’est pas bon. J’ai réussi à chasser ça. À ne pas en parler. Même à mes enfants quand ils voulaient savoir quelque chose…j’expliquais pourquoi je ne pouvais pas. Comme ça, ils comprenaient et n’insistaient pas trop. La guerre est un traumatisme que l’on ne peut pas comprendre quand on ne l’a pas vécue. Surtout ce genre de guerre, c’est dégueulasse, c’est pas beau.

La guerre d’Algérie aura tué plus de 30 000 soldats français – des milliers d’autres atteints de graves séquelles – 400 000 Algériens tués – 1 million 500 000 paysans déplacés.algerie_yvon lebrun_07

Yvon Le Brun, a été incorporé en 1956 (contingent 56/2C) à l’âge de 19 ans en Algérie pour une durée de 33 mois au 1er Régiment d’Infanterie . En 33 mois de guerre, il n’a obtenu que 12 jours de permission pour voir sa famille. Il était radiotélégraphiste (transmission radio des messages en morse). Aujourd’hui agé de 76 ans, c’est un membre de longue date de l’UNC (Union des Anciens Combattants). Chaque année, les anciens d’Algérie voient leur rangs diminuer. C’est une partie de notre mémoire collective qui disparaît.

Je remercie Yvon Le Brun pour avoir accepté de me livrer un peu de sa vie passée, malgré les souffrances que ma présence a dû raviver. Merci aussi à Sabina pour son accueil. Et un salut particulier à son très cher ami Raymond Hamel avec lequel il peut partager sans un mot sa jeunesse volée.