D’azur et de cendres

Enfant, par les belles journées d’été, dans ma campagne Normande, je m’allongeais dans l’herbe tiède la tête tournée vers le ciel. Et là, par la force de mon désir ou peut-être par le hazard des turbulences atmosphériques, de l’azur naissait soudainement d’audacieux nuages. En groupe ou en solitaire, ils traversaient mon champ de vision sans se presser, me livrant leur fantasmagorique imagerie. Toutes sortes d’animaux défilaient ainsi sous mes yeux se formant, se déformant, s’effilochant comme la barbe à papa. Bien souvent, des figures burlesques m’apparaissaient, celles avec une grosse tête, un gros nez ou de grandes oreilles. D’autres silhouettes plus menaçantes, cachées parmi d’innocents nuages, germaient sournoisement. Mesquines, elles se déformaient devenant géantes et, tutoyant la voûte céleste assombrissaient soudainement le jour. Alors, la nature toute entière s’immobilisait, les arbres ne bruissaient plus, et sur ma peau d’enfant, un frisson de peur dressait mon duvet. Mais, la lumière revenait et la vie un moment perturbée, reprenait son souffle tendre et doux.

Aujourd’hui, je ne m’allonge plus dans l’herbe. Non qu’il n’y ait plus de nuages, le ciel en est tant et tant chargé. Mais il y a quelque chose dans leur forme et leur couleur qui ne m’inspire plus confiance. Sans doute ai-je perdu en vieillissant cette part d’enfance et d’imagination qui faisaient se dessiner sous mes yeux innocents un monde féerique et joyeux. Le ciel s’est obscurci en même temps que mon esprit. Du fond de l’horizon, pourtant pas si distant, de lourds et pestilentiels cumulus chargés de rancœur se sont formés alors que j’étais aveugle. Aveugle, comme un enfant fermant les yeux pour occulter le danger qui arrive. Des poussières noires et poisseuses ont envahi l’espace libre. Des arcs électriques ont embrasé les nuages, résonnant sous leur ventre douloureux. Les jours et les nuits se sont chargés de mercures et de poisons sulfurés brûlant l’oxygène, étouffant la vie en tout endroit. Sous le masque impassible de l’infâme, couvait le feu vengeur de la guerre et roulaient depuis longtemps les tambours d’un ordre nouveau. Les foudres sont lancées dans un ciel d’obsidienne. Les nuages liquéfiés, pleurent du sang sur le pauvre sort des hommes.

L’immensité bleue a fait place aux ténèbres et aux sombres desseins. Des lueurs de feu transpercent les nuages, frappent en cohortes meurtrières les enfants qui ; hier encore regardant de leurs yeux grands ouverts, l’azur et ses nuages candides, attendaient des signes d’avenir et des promesses de bonheur. Pendant ce temps, une poignée de fous avaient déjà décidé de réduire en cendres à jamais leurs rêves les plus éblouissants.
L’ordre de la nature a toujours fait fi des querelles humaines et les crimes même impunis n’ont jamais empêché l’aube de renaître. Tôt ou tard, le ciel retrouvera ses couleurs et son harmonie resplendira de plus belle. Il le faudra bien !

15 réflexions sur « D’azur et de cendres »

  1. J’ai encore laissé filer le temps, mais je ne suis pas trop en retard – j’ai beaucoup aimé, car, c’est très différent – moi aussi j’avais peur que vôtre texte se termine sur une note négative, et bien non ! et c’est bien …. j’ai aimé vous lire, j’adore vous lire – quelle écriture ! je ne sais si vous avez un jour “fait” un livre ? vous êtes un conteur, un passeur, par les mots, les photos, les peintures, bravo ! il aurait été dommage que je ne prenne du temps, aujourd’hui en ce dimanche 13.3 pour ouvrir vôtre mail – car vous m’étonnez ! j’en avais besoin – je me suis imaginée, même revue, allongée dans cette herbe, les yeux levés, j’ai fait çà, je suis en 6e – les souvenirs reviennent, vous avez eu ce pouvoir là, j’étais pré ado, je revois tout, moi, les amis, les senteurs, les couleurs, les premiers émois … comme quoi ce genre de communications apportent beaucoup. He puis il y a tous ces bleus aujourd’hui !! – par rapport à vos verts que vous aimez tant. Alors un grand MERCI ! pour ce beau moment d’échange. J’adore aussi quand il y a des petits personnages, ce qui est rare, et pas que chez vous Le Peintre, mais chez beaucoup d’autres peintres de paysages. à vous suivre …. Cordialement. Cathy, mettez quelques ciels ou cieux sur FB – merci

  2. Il est vrai qu’ avec le temps notre ciel s’ assombrit , est ce nos forces qui nous abandonnent ou nos voix internent qui souffrent de trop …. peut être aussi nos cultures qui nous assomment de négativités !!!

  3. Pour regarder avec des yeux d’enfants, il faut vouloir oublier bien des choses. Faire un gros effort.
    Malheureusement on ne retourne jamais vers l’innocence…qu’il ne faut pas confondre bien sûr avec la naïveté 😉
    Bises.

  4. Mais non les enfants n’abandonnent jamais leurs regards émerveillés et sont foujours prêts, après les larmes, à remettre leur énergie toute neuve en marche. Ils savent peut-être jusqu’à un certain age replonger dans un bel imaginaire…..Mais toi, vieil enfant,
    tu y replonges aussi à travers tes peintures, tes beaux ciels, tes grands horizons…..Tu nous fais rêver…..

  5. Salut Régine,
    c’est vrai que je me suis régalé sur ces paysages en essayant de faire évoluer mon traité, mes couleurs.
    Je vais poursuivre dans cette voie là. Il y a tellement de choses, de directions à prendre, à tenter.
    Bises.

  6. Merci Régis,
    je change de sujets pour rompre la monotonie et les habitudes. Un peu comme tu le fais de temps en temps avec la campagne ou les fleurs.
    J’ai toujours un peu de déchets au début. Il faut trouver des repères, de nouvelles harmonies etc…tu connais bien le process.
    L’actualité est assez dramatique. J’espère qu’un “accident” ne fera pas péter une centrale. C’est dans l’intérêt de personne mais…qui sait ?
    Hitler voulait construire une “Europe aryenne forte” et Poutine veut recréer une “ancienne Russie”. Quelque part, il y a une similitude de pensée et de volonté.
    Après tout ça, les Ukrainiens vont avoir une haine envers la Russie qui ne s’effacera pas avant bien des générations.
    Poutine ou l’art d’entretenir les vengeances. Tout ça n’est pas très propre de tous les côtés quand on examine aussi les intérêts des uns et des autres.
    Réalités économiques, politiques, territoriales, énergétiques. La morale, l’éthique n’ont plus grand chose à voir désormais. Et sont depuis longtemps impuissantes.
    Temps de guerre pour certains, temps de merde pour tout le monde !

  7. Pour retrouver l’insouciance de notre enfance, en ce moment, il faut faire de gros efforts tout de même.

  8. Je m’en serais voulu de troubler ton sommeil Martine. Mon texte se termine bien, mais c’est très conditionnel.
    Qui sait ce qui nous attend dans les prochains mois. Bises.

  9. Merci de tes visites Jean-Michel.
    Les petites silhouettes attirent tout de suite l’œil et rendent la scène plus vivante.
    Autre aspect positif, ça donne aussi une échelle au paysage.
    Mine de rien, mais ces petites silhouettes sont très difficiles à incruster.
    Il faut trouver la bonne taille, trop foncées elles font taches, trop précises elles ne vont plus avec le reste du traité etc…
    C’est un exercice en soi.
    Bonne journée.

  10. Il est vrai que je regarde beaucoup le ciel en ce moment….Tes peintures sont très réussies comme toujours! Et heureusement que ton texte se termine bien… sinon j’aurais eu du mal à m’endormir ce soir. Merci Serge!

  11. De très beaux ciels pour la plupart, avec une préférence vers ceux où l’astre est présent . Une gamme colorée vive et froide . C’est très réussi . Quand à l’avenir, notre avenir. Il est acquis qu’il est serein. Nous pouvons dormir tranquille. C’est connu que le nuage de Tchernobyl, s’arrête toujours à la frontière .

  12. Très beau texte.
    Et cette série est magnifique. J’aime en particulier les images de plages et leurs petits personnages.
    Bravo, Serge !

  13. Message d’espoir. Et de beaux ciels pour retrouver un peu l’insouciance de notre enfance

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