Imprimerie Idem Paris

On m’a dit, “tu verras, l’atelier est exceptionnel, tout à fait dans l’esprit des entreprises du 19 ème siècle”. 

L’accès à l’imprimerie est pourtant bien banal. Il faut être averti et lever les yeux vers le ciel à l’entrée du passage pour remarquer un fronteau noir et lettres d’or qui signale “E. Dufrenoy. Imprimeur – Lithographe”. Le 49 rue du Montparnasse ne paie pas de mine, coincé entre deux crèperies, j’hésite presque. Est-ce bien là ce lieu mythique dont on m’a tant vanté l’atmosphère authentique. Au plus profond du porche, pas de sonnette, une simple porte en tôle peinte en vert. Une porte qui sonne comme un “gong” quand on la referme un peu trop vivement.

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La rumeur de la rue du Montparnasse disparaît soudainement. Je suis dans une petite cour intérieure. Quelques maigres plantes s’épanouissent sous la belle lumière d’une matinée ensoleillée. Une presse à bras semble en attente, des rames de papier sur des palettes, obstruent un peu le passage. Tout de suite le ton est donné et le caractère des lieux est fortement affirmé. Sur les murs, épinglées, de vieilles affiches finissent de se dégrader lentement à la lumière. En m’avançant de quelques pas, j’ai brusquement changé de siècle. Dans le petit couloir qui mène à l’atelier baigné de clarté, de grandes pierres lithographiques reposent sur le champ. Me voilà au cœur de la très célèbre imprimerie d’art Idem. C’est ici, que les plus grands artistes du monde entier se sont croisés et se donnent encore rendez-vous quand il s’agit de réaliser leurs éditions lithographiques.

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L’atelier a été construit en 1880 par Émile Dufrenoy qui y installa ses presses lithographiques. Le bâtiment de 1.400 m2 comprend au rez-de-chaussée, sous une verrière des Voirin et Marinoni (dont une Marinoni 120×160 cm acquise en 2013). Au 19 ème siècle, les presses étaient actionnées par un système de poulies et de courroies mues par un arbre de transmission. Une chaudère à vapeur alimentée au gaz, fournissait l’énergie nécessaire. Aujourd’hui encore, dans les hauteurs de l’atelier, d’anciennes poulies témoignent de cette dynamique à vapeur.
Les imprimeries Michard, spécialisées dans les cartes géographiques occupèrent ensuite les locaux à partir des années trente jusqu’aux années soixante-dix. La célèbre imprimerie Mourlot s’y installa en 1976. Fernand Mourlot annonça le renouveau de la lithographie et séduisit les plus grands maîtres de l’époque (Picasso, Matisse, Chagall, Miro, Braque, Giacommetti et tant d’autres…). Une grande effervescence créatrice devait imprégner le site. Bien des artistes du 20 ème siècle trouvèrent en ces lieux les hommes de métier qui surent, par la pierre et l’encre célébrer leurs œuvres. L’atelier de la rue du Montparnasse est le dernier que Dufrenoy ait occupé et où se trouvent les fameuses presses qui ont imprimé tous les chefs d’œuvre de la lithographie moderne. En 1997, l’imprimerie Mourlot, changera de nom et s’appellera désormais l’imprimerie Idem.

Les presses sont impressionnantes. Chacune est une harmonie faite d’un acier noirci par le temps, de pièces brillantes, lustrées par plus d’un siècle de manipulation. C’est un assemblage fantastique de rouages, de barres, de manivelles aux fonctions mystérieuses pour un néophyte. Ce sont des monstres d’acier qui grognent, remuent, s’animent soudainement et par à coup en propageant un souffle inhumain.

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On pourrait s’attendre à rencontrer de vieux messieurs aux binocles posés négligemment sur le bout du nez tant l’empreinte des siècles passés impose sa marque. Pas du tout ! La petite équipe de professionnels qui entoure la presse en action est particulièrement jeune. Les commandements sont clairs, les gestes précis. Ils sont au moins quatre aux petits soins de la machine et à l’écoute de l’artiste présent.
Il faut non seulement une grande compétence technique, mais aussi un “œil” artistique, le tout enrobé d’une bonne dose de patience et d’humilité, pour répondre parfois aux exigences des “auteurs”. Tout en faisant mes photos, je bavarde avec l’un, avec l’autre j’essaie d’en apprendre un peu sur ce métier et cette technique que je connais mal.

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La lithographie est un procédé d’impression à plat qui repose sur le principe de répulsion de l’eau et de la graisse. On dessine sur une pierre calcaire non poreuse à l’eau, à l’aide d’un crayon ou d’une encre grasse dite lithographique. Les parties non dessinées sont recouvertes d’une solution de gomme arabique légèrement diluée d’acide nitrique. On laisse agir jusqu’à ce que la pierre n’émette plus de bouillonnements, on essuie et on passe une solution de gomme neutre. La graisse du crayon lithographique et le calcaire se sont combinés, formant une pellicule très adhérente délimitant les zones imprimées. Les pores de la pierre s’ouvrent sous l’action de l’acide fixant la gomme neutre qui retiendra l’eau. Après avoir laissé reposer la pierre, on lave à l’eau l’excès de gomme et à l’essence l’excès de graisse, on laisse sécher. La pierre est alors mate dans les blancs gommés et brillante dans les gras. Pour faire les essais de tirage, on mouille la pierre, on encre le rouleau qu’on passe régulièrement sur la pierre. L’encre grasse se dépose sur les parties dessinées, grasses.

Lorsque le tirage d’une œuvre est terminé, la pierre est nettoyée et “égrenée” par un ponçage manuel comprenant un mélange d’eau et de quartz calibré. Il sera ensuite possible de créer un nouveau dessin sur la surface parfaitement lisse et de recommencer la procédure d’impression.

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Mais, l’atelier Idem ne se contente pas de marcher sur les terrains uniquement connus et balisés. Aujourd’hui, diverses techniques sont introduites dans l’atelier. Notamment une technique innovante sur matrice d’aluminium gravée au laser et imprimée en lithographie. C’est la technique de l’alugraphie (développée par Erwann Galivel, le responsable de l’atelier) qui est mise en œuvre ce matin pour un artiste issu de l’univers du “graff”. L’impression directe sur plaque d’aluminium semble poser problème… et le “bon à tirer” est loin d’être acquis pour l’instant. L’alugraphie, permet cependant de réaliser des tirages photographiques avec des encres lithographiques composées spécialement pour une œuvre. Huit passages et plus sont souvent nécessaires pour obtenir un résultat parfait.

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Sur les murs sont accrochés les grands tirages d’essais de David Lynch, fraîchement passé à l’atelier. Les pierres stockées contre les murs portent encore le graphisme d’une œuvre éphémère de JR. La liste des artistes qui vont et viennent ici est tout simplement incroyable. L’espace respire la liberté et la créativité que l’art à toujours su insufler partout ou il est présent. Je souhaite très sincèrement qu’un endroit comme celui-ci, aussi inspiré qu’inspirant puisse continuer à vivre dans l’avenir

Merci à toute la sympathique équipe (Patrice Forest, Erwann Galivel, Em-Khindelevert, Robin Marti, Patrick Pramil (bonne retraite), Mathilde Roussel, France Suzaine, Soukaloun Thoune…).
Merci à ceux avec lesquels j’ai pu échanger et à ceux que j’ai seulement croisés.

Imprimerie Idem Paris
49, rue du Montparnasse
75014 Paris.

7 réflexions sur « Imprimerie Idem Paris »

  1. Merci Jean-Marie, on parle beaucoup de “grands artistes” qui font la une et jamais ou rarement effectivement des “artisans d’art”. Pour avoir fait une école d’Arts Appliqués à l’Artisanat, je reste toujours sensible à ceux qui expriment leur talent au service d’autres talents et tout cela dans grand respect mutuel.

  2. À la lecture de ce propos, je ne peux m’empêcher de vous dire…” C’est bien dit…c’est tout compris…et c’est très juste “. Merci pour cet article, cette perception et cette sensibilité sur ce milieu professionnel d’artisanat d’art- devenu rare- qui persiste encore à exister grâce à “Celles et Ceux” qui – si peu nombreux – veulent s’impliquer fort dans ce très beau métier (qui se pratique en équipe) et grâce à des Artistes (: Certains, que je remercie) – qui continuent à y avoir recours, heureusement.
    Au détour de l’Expo de Françoise Petrovitch à la B.nf j’ai redécouvert l’existence de cette magnifique Imprimerie d’ Art IDEM. Merci à vous.
    Bien cordialement. Jean-Marie Kosmicki

  3. Dans ces ateliers, il y a deux sortes de personnes : les artistes et les maîtres-lithographes. À bien observer tout ça, un peu en retrait, parfois on se prend à penser que les artisans sont les vrais artistes. Pour ma part, j’ai une grande admiration pour tous ces professionnels qui travaillent dans l’ombre de l’auteur 😉

  4. Il y avait peu d’ échanges entre nos ateliers quand j’ étais dans ma section gravure taille douce pourtant si proche , au même étage.
    Certains détails de la gravure litho m’ étaient restés encore un peu obscures , je viens d’ apprendre grâce à ton reportage Serge pas mal de choses ….. comme à ton habitude , tes explications sont claires et belles , accompagnées comme toujours par des images superbes .

    Lacourière qui était dans les hauteurs de Montmartre la grande référence aussi à disparu , à l’ époque j’ avais eu besoin de leurs services …..En plus ils étaient charmants !

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Lacouri%C3%A8re-Fr%C3%A9laut

    Merci

  5. J’espère aussi que ça vive longtemps Jean-Michel…mais l’un des lithographes qui part à la retraite et avec lequel j’ai discuté, est assez pessimiste sur la pérennité de l’entreprise. Il y a eu bien sûr la visite de ministres, de gens de la culture, il y a eu de belles paroles et puis une fois le dos tourné…Tu connais la musique !!! Par contre, on accorde des aides à des choses parfois tellement “bidon”…

  6. Très bon article, un reportage intéressant.
    Et on a envie que des lieux comme ça continuent d’exister.
    Bravo.

  7. Très intéressant ton reportage Serge : merci de toujours nous ”éveiller”/informer dans tant de domaines différents.

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