La Mesniloise

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À l’approche de la forêt, il fait encore bien frais et bien sombre. Pourtant, ils sont tous là, ceux qui vont suer sang et eau (pour leur plus grand plaisir) en parcourant durant 3h30 les 7 km que leur ont tracé en plein bois les “gentils oragnisateurs”.
Alors que certains troquent leur habit de ville pour une tenue bariolée aux inscriptions commerciales, d’autres sont déjà en train de fixer leur plaque de cadre. Avant le départ, il faut vérifier une dernière fois le bon passage des vitesses, regonfler un pneu trop mou, vite filer aux toilettes car après…après…on ne rigolera plus. Pour l’instant, l’ambiance est bon enfant, on se charrie un peu, on salue chaleureusement le copain d’un autre club. On se tape sur l’épaule avant de se mesurer sur le terrain. vtt_02_06_10_13À force de fréquenter les circuits et de se côtoyer, on fini par connaître les plus forts. Les pronostics sur les chances de gagner s’amenuisent avec la présence d’untel ou de tel autre. Mais qui sait ! Un problème technique, une chaîne qui casse, une crevaison, un dérailleur qui se bloque, peut laisser espérer une place sur le podium ou tout au moins une place pas trop loin des marches. La course se déroule par équipe de 2 participants. Le premier groupe se dirige vers le point de départ. C’est un peu la cohue, tout le monde veut être devant pour aborder en tête le premier virage et la première difficulté. Bien sûr, les “cadors” sont bien placés. Il y a là le champion de France de la spécialité et quelques grosses pointures. vtt_03_06_10_13Déjà en pôle position au départ, ce sont les mêmes qui brigueront les meilleures places sur le podium. La course est presque déjà jouée. Pour la majorité des participants, le plaisir n’est pas dans le classement, mais dans la solidarité et le goût de l’effort partagés avec son club ou son co-équipier. La course est ouverte à tous dès 10 ans et les plus jeunes font l’admiration des plus anciens. C’est une course conviviale malgré tout. 8h30, les coureurs sont lachés. Un cliquetis de chaîne suivi des premières expressions d’effort se dissipent sitôt la troupe passée. Plus loin, au parc à vélo, la sono du commentateur constitue un point de repère comme une véritable balise. Pour apprécier la course, il faut éviter les portions de parcours trop roulant. vtt_06_06_10_13vtt_07_06_10_13Quelques bosses ou chemins creux descendants, sont les meilleurs endroits pour apprécier soit la dextérité des uns, soit la puissance des autres. Je regrette toujours que quelques uns se prenant pour des “vedettes”, admonestent les plus jeunes qui ne s’effacent pas assez vite devant leur passage. Quand on est très fort ce ne sont pas les 2 ou 3 secondes perdues pour doubler un gamin qui changeront la face du monde. vtt_11_06_10_13vtt_10_06_10_13Être bon, c’est être fort physiquement, mais aussi mentalement et les champions, les vrais…ont souvent un comportement exemplaire vis à vis des plus jeunes. La fête n’en sera pas gâchée pour autant. La fin de course est proche. On s’active du côté des organisateurs. Les coupes sont sorties, nombreuses, rutilantes. Des cadeaux sont prévus, des bons d’achat, des bouquets de roses n’attendent plus que les meilleurs. Plus loin, un stand avec des plateaux repas et des boissons sont réservés à tous les “morts de faim” du parcours. Comme prévu l’équipage du champion de France numéro 20 (Cédric Chartier et Jérôme Grevin) montent sur la plus haute marche du podium. Ils se prêtent de façon bien sympathique à cette remise de prix en compagnie d’amateurs de tous bords. Le club de Bonnières VTT, bien présent avec un grand nombre de participants, monte plusieurs fois sur les marches selon les différentes catégories. Maintenant il faut effacer toutes traces du parcours, retirer la rubalise, démonter les stands, ranger les barrières métalliques. Demain, la forêt sera rendue par son silence aux promeneurs et aux quelques animaux qui se seront cachés le temps d’une matinée agitée.vtt_12_06_10_13

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La fête du Muscat.

Les barrières sont posées. Déviation obligatoire. Aujourd’hui, on ne traverse pas le village. En ce 22 septembre à Villes-sur-Auzon, c’est la fête du Muscat des Terrasses. Pour cette petite ville au pied du Mt Ventoux, on célèbre les juteuses grappes noires.01_villes sur auzon_09_2013

Les producteurs locaux ont fait le déplacement et ont achalandé leurs étals. En arpentant les rues sonorisées ce n’est qu’une succession de fragrances originales et odorantes. Le safran cotoie le fromage de chèvre qui jouxte le pain d’épice ou le nougat aux saveurs de miel. Pour les plus petits visiteurs, un manège mécanique a été installé. Et quand je dis mécanique, c’est bien à la force des mollets qu’il convient de le faire tourner. Une grand-mère, toute dévouée à ses petits enfants s’y est collée. Ici point de sono tonitruante qui tourne en boucle au rythme du manège. Point de singe maigrichon pendu à une ficelle pour gagner des tours gratuits. Non, ici, les petits ont le privilège d’avoir, rien que pour eux un vrai accordéoniste “à la mine rigolote” et une gentille “poupée” qui leur propose de saisir des petits objets avec un gracieux sourire. Au centre du village sur la place principale c’est le grand débalage. 02_villes sur auzon_09_2013Du bric à brac. Chacun y trouvera ce qu’il pourra. Il ne sert à rien de chercher quelque chose de précis. L’achat se fait au gré d’une surprise. Bien souvent, l’objet sitôt raporté à la maison finira dans un coin, oublié, et se retrouvera au prochain vide grenier une nouvelle fois sur le trottoir. Les enfants, les “un peu plus grands”, ceux que les tours de manège n’intéressent plus, sont suspendus dans les platanes centenaires. Une bonne manière de les “tenir” calmes un bon moment. Les touristes se pressent timidement autour du pressoir à main. Et oui, la démonstration du foulage et du pressurage de quelques grappes de raisin est traditionnelle. 03_villes sur auzon_09_2013 04_villes sur auzon_09_2013 05_villes sur auzon_09_2013Dans le rassemblement, il y a ceux d’ici et les autres. Ceux d’ici plaisantent et parlent haut avec l’accent. Ils se connaissent, se reconnaisssent et s’envoient quelques blagues qu’ils semblent partager comme en famille. Et puis il y a les curieux, principalement des touristes vieillissants en cette fin de septembre. Les jeunes, les actifs ont depuis longtemps repris le chemin des bureaux ou des entreprises. Alors devant cette foule curieuse et attendrie, les “gars du métier” font le “job” avec des gestes précis. Le jus coule, trouble, épais. Un murmure de satisfaction court de bouche en bouche. Tout le monde veut voir cet élixir, goûter ce breuvage frais sorti comme par miracle des grappes noires. Les gobelets se tendent dans le désordre. 06_villes sur auzon_09_2013Certains y reviennent plusieurs fois. Il y en aura pour tout le monde, pas d’inquiétude. Soudain, un concert tonitruant s’engage dans la ruelle. La”Pena Los Caballeros” sur une résonance de trompette déchire la douceur du matin. La troupe colorée, a capté toutes les oreilles et tous les regards. La foule s’écarte au son d’une samba et des airs populaires. Certains se mettent à danser. Les enfants courent devant la formation, précèdent les musiciens qui s’avancent en ordre de marche. Le trombonne ponctue d’un “pon-pon-pon-pon-pon” le pas cadencé des interprètes. 07_villes sur auzon_09_2013La musique résonne dans les ruelles. La troupe de théatre amateur tente de se faire entendre au milieu de tout ce brouhaha. Les spectateurs tendent l’oreille. Entre les saynettes jouées en “patois” et le concert tout proche, c’est l’incompréhension qui domine. La journée ne fait que commencer, les parkings un peu en retrait du village commencent à se remplir. Bientôt, il sera l’heure de l’apéritif. Beaucoup se dirigeront vers un petit restaurant, cherchant une terrasse ombragée pour y déguster quelques plats locaux accompagnés d’un rouge du Ventoux ou d’un rosé aux couleurs chatoyantes, muri sur les pentes caillouteuses du Géant de Provence. Le soleil aidant, l’après-midi sera chaud et la fête sûrement mémorable.08_villes sur auzon_09_2013

Diaporama

 

 

 

Là haut sur la montagne

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Tout là haut, on se sent très près du ciel et des étoiles. Il fait très frais, très nuit encore. Parfois une pierre roule au loin, dévale la pente blanche comme un avertissement à la prudence. Dans le ciel d’un azur profond, quelques griffures lumineuses, progressent vers une destination inconnue. La ville au loin s’anime lentement sans que ses rumeurs proviennent ici, jusqu’à la cime. Le soleil amène sa cohorte de fous désarticulés, arqués sur les pédales, le souffle court, mais le sourire de la victoire sur le visage. Puis, peu à peu, tout redevient calme et silencieux. Chacun est redescendu vers les vallons tièdes. Les ombres envahissent la montagne, la froidure se fait plus intense. Une nouvelle nuit s’installe.

 

Retour vers le passé.

Voilà, c’est décidé aujourd’hui nous partons sur les traces de mon enfance. Retour vers le passé. Direction la Normandie, le Calvados et plus précisément à Ussy, le petit village où je suis né. C’était il y a 64 ans, un peu après la dernière guerre.

Direction la Normandie

Direction la Normandie

Mes parents à cette époque ne possédaient pas de voiture, faute de quoi et malgré le fait que l’hôpital de Falaise ne soit qu’à 12 km, je suis venu au monde à la maison. Ussy est un petit “bourg” qui compte à peine moins de 900 habitants. Il me restait de bons souvenirs visuels du lieu de ma naissance. Évidemment, je ne m’attendais pas à retrouver intact un endroit qui déjà dans ma petite enfance me semblait insalubre. La maison m’avait laissé une impression d’obscurité, d’un manque de lumière, et d’étroitesse.

Ussy, un carrefour dangereux

Ussy, un carrefour dangereux

La maison de ma naissance et la cour où je jouais

La maison de ma naissance et la cour où je jouais

La cour en bordure de route où je jouais et qui faisait si peur à ma mère, était toujours là, l’ensemble des maisons aussi. Ma surprise venait surtout de l’enseigne qui chapeautait “ma maison”. Infini’Tif, salon de beauté-coiffure mixte, le tout dans un joli rose “fillette”, ambiance couleur “Barbie”. À force de fouiner dans cette cour, la fenêtre du salon à “tifs” s’ouvrit.
— Vous cherchez quelqu’un ? Une charmante jeune femme, sans doute la coiffeuse en chef, toute souriante nous interpelait.
— Euh ! Non, je suis né ici ! Juste là, ou vous vous trouvez !
Grand sourire de la coiffeuse un peu confuse. Je pensais recueillir quelques renseignements concernant l’habitation, un peu d’historique en quelque sorte. Mais devant l’âge de la jeune femme, j’ai vite compris que pour l’histoire il me faudrait repasser. La fenêtre toute neuve en PVC imitation bois, s’est refermée. Ma femme et moi, nous sommes restés seuls à arpenter la cour. Ce qui me paraissait gigantesque, là ou je courais autrefois, se traversait désormais en deux enjambées. Entre les maisons, une allée humide, conduisait au fond vers un espace d’herbe, un ancien jardin abandonné. Un moineau mort gisait au sol. Sur la porte de la vieille grange, où se trouvait jadis un puits, une pancarte mettait en garde : “Défense d’entrer, danger de mort”. potigny_04_05_07_13

À l'entrée de Potigny, d'anciens wagonnets utilisés à la mine de fer

À l’entrée de Potigny, d’anciens wagonnets utilisés pour l’extraction du minerai de fer

Ce bâtiment appartenait à un vieux monsieur auquel je rendais visite de temps en temps. Je me souviens de ce jour ou par une belle journée d’été, je tirais la porte derrière moi et là, au frais je dégustais quelques cerises ou prunes en sa compagnie. Ma mère me cherchait, m’appelait, craignant déjà l’irrémédiable, me voyant déjà disparu, mort ou je ne sais quoi. Dans le sombre de ma cachette avais-je entendu ses appels ou les avais-je occultés volontairement. Je ne saurais le dire ! Mais ce dont je me souviens c’est de la correction que mon père m’infligea ce soir-là.

Mon père avait décidé de quitter la location d’Ussy trop petite et de construire lui-même sa propre maison à Potigny, une petite ville minière à proximité. Le courage ne lui manquait pas, il avait une volonté farouche d’améliorer notre vie familiale. Il acheta un terrain, et entreprit de dessiner les plans de la maison de ses rêves. Enfin, une maison bien simple, un cube sans fioriture, à la mesure de ce qu’un simple ouvrier était capable de réaliser seul. Lorsque les beaux jours arrivaient, mon père, après son travail de la journée, partait en vélo pour faire avancer son rêve. Je l’accompagnais souvent, jugé sur ses épaules. Je me cramponnais à ses cheveux tout au long des 4 ou 5 km que durait le voyage sur les chemins de campagne.

La petite ville va fêter l'amitié franco-polonaise

La petite ville va fêter l’amitié franco-polonaise

Je voulais revoir encore une fois cette petite maison dans laquelle j’avais vécu mon enfance en compagnie de mes sœurs et de mon frère. Il me fallait connaître le propriétaire qui occupait désormais la maison que mon père avait construit. Nous étions bien ce 5 juillet 2013 à Potigny, sous un soleil de plomb. La ville avait un peu changé depuis mon dernier passage qui datait de plusieurs années. Des drapeaux ondulaient nonchalamment dans l’attente d’une imminente fête franco-polonaise. potigny_07_05_07_13Un magasin Super U en bordure de la route principale avait remplacé les jardinets qui existaitent là autrefois. La rue de la cité des “Polonais”, rue de la Libération, parallèle à celle où nous avions notre petite maison, était désormais goudronnée. Des voitures s’alignaient tristement devant les portes d’entrée de chaque logement. J’avais connu cette artère animée de nos cris d’enfants lorsque nous y jouions. En remontant cette rue, sur le pas d’une porte une femme et un homme en polo bleu, portant lunettes, étaient en pleine conversation. Nous nous sommes salués poliment.
— Connaissez-vous le propriétaire de la petite maison d’en face ?
La conversation s’engagea. Il ne fallut pas longtemps pour nous découvrir bien des souvenirs communs. Nous évoquâmes nos excursions dans la campagne environnante, les bandes que nous formions au gré des amitiés, les batailles au lance-pierres. Gamins, nous avions une fâcheuse tendance à poursuivre inlassablement les “amoureux” jusqu’au plus profond des sous-bois. Nous étions de véritables teignes.

La cité et la rue ou je passais le plus clair de mon temps en compagnie de mes copains Polonais

La cité et la rue ou je passais le plus clair de mon temps en compagnie de mes copains Polonais

Henriette T. et Gérard J. les premiers souvenirs partagés

Henriette T. et Gérard J. les premiers souvenirs partagés

Avec Henriette T. et Gérard J,. nous avons rappelé la mémoire de quelques-uns de nos amis communs. Certains s’en étaient allés, vaincus par la maladie. Daniel, mon copain polonais, une tête de plus que moi, une force de la nature. C’est lui qui avait glissé la première cigarette dans ma main. C’est sans doute aussi cette cigarette qui l’aura accompagné toute sa vie et qui lui aura rongé la santé. potigny_12_05_07_13Il me fallait poursuivre ma visite et abandonner là mes amis d’antan. En trois pas je fus devant le portail du pavillon. Ma petite maison, ne s’enorgueillissait pas d’une adresse prestigieuse. Elle n’avait nul droit à une avenue, pas même à une rue, ni même à une allée. Non, simplement celle d’une sente. La sente Angot. Quel joli nom ne trouvez-vous pas ?

Juste quelques tuiles rouge. La maisonnette est toujours là.

Juste quelques tuiles rouge au-dessus d’une immense haie. La maisonnette est toujours là.

C’est un nom qui chante, même mieux un nom qui danse…la San Tango ! Mais pourquoi avoir là aussi, goudronné ce chemin autefois bordée de jardins et de cerisiers ! De la haute haie émergeait à peine un toit de tuiles rouges. Je sonnai. Un petit monsieur à l’air “bonhomme” vint m’ouvrir.
— Bonjour Monsieur, c’est mon père qui a construit cette maison et… Bla, bla et bla… De la surprise, de la méfiance bien naturelle chez Monsieur Claude P. Et puis, de fil en aiguille, je suis là dans le jardin à admirer ses plantations. Un jardin remarquablement bien entretenu. Les cerisiers dans lesquels je grimpais pour me “goinfrer” de bigarreaux, avaient disparu. Une question en amenant une autre, Monsieur Pichon nous invita à visiter sa maison.

L'accueil étonné mais chaleureux du propriétaire.

L’accueil étonné mais chaleureux du propriétaire.

Il tint à me montrer de quelle magnifique façon il l’avait aménagée selon ses besoins. Il me vante les qualités de construction du pavillon, sans le savoir il fait l’éloge de mon père. Claude P. parle de solidité, de charpente toujours d’origine, et c’est mon père que je revois, avec sa force, son courage, sa tendresse. Je caresse les murs doucement. C’est lui que je caresse. Il est là ! potigny_15_05_07_13potigny_16_05_07_13Je le sens dans ces pierres, dans ces murs de béton construits avec toute la droiture qui le distinguait. Je revois la chambre de mes sœurs, celle de mes parents. La chambre que je partageais avec mon frère est devenue un salon/salle à manger. Autrefois, il n’y avait qu’une petite cuisine dans laquelle nous mangions tous les six, réunis autour d’une cuisinière à charbon pour tout chauffage. Le propriétaire est sympathique et volubile. Il me montre tout, ouvre devant nous les tiroirs de ses meubles pour retrouver les actes de vente de la maison. Dans les papiers jaunis, je découvre les paraphes et la signature malhabile de mon père. L’émotion est là. Les images de sa présence reviennent avec force. Les images de l’enfance aussi, celle d’un bonheur aujourd’hui consommé. La disparition d’un être cher, creuse un sillon de tristesse que l’affairement nous fait oublier mais qui ne se referme jamais.

Le temps passe. La conversation avec Claude P. flotte de plus en plus. Le moment magique est passé. Je sens que nous nous sommes dit tout ce que nous pouvions nous dire. Je ne veux pas abuser de la gentillesse de mon hôte. Prolonger ma visite plus longtemps ne servirait à rien. Je tente difficilement de prendre congé. Sur le perron Claude P. me serre la main et me dit chaleureusement :
— La prochaine fois, n’hésitez pas, venez à “l’heure intelligente”comme on dit chez nous !
— L’heure intelligente ?
— Oui, vous comprenez bien, c’est l’heure de l’apéritif ! me précise t-il un sourire amusé aux lèvres.potigny_17_05_07_13
On ne fait pas une promesse en l’air aux Normands et aux Polonais, la prochaine fois je viendrai à “l’heure intelligente” et on rafraîchira encore je l’espère, quelques bons souvenirs de notre enfance.

Lumière d’été

On pense souvent que l’été avec ces beaux jours, son soleil radieux et son ciel bleu représente la saison la plus favorable pour la photographie. C’est vrai dans une certaine mesure si l’on respecte certaines conditions.

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Les périodes de belle lumière sont relativement courtes en été. Et en photo, la lumière est un élément primordial. Il faut donc être sur le terrain un peu avant le lever du soleil et plier bagage 2 heures après. Pour moi ce matin, ça sera un réveil à 5h. Le temps de me préparer, de me rendre sur le lieu de prise de vue en voiture, de marcher un peu, il sera 6h30. Le soleil n’est pas encore levé. En me plaçant dans une pente, face au soleil, je profite d’une lente et progressive arrivée de la lumière. Je teste l’ambiance en saisissant la lumière encore froide du petit jour sur quelques “scabieuses des champs”. Le contrejour naissant me fait apparaître petit à petit toutes sortes de détails jusqu’ici dissimulés. J’ai repéré parmi les hautes herbes, encore dans l’ombre de la nuit, une trés belle araignée au centre de sa toile (argiope bruennichi ou argiope frelon). Il me faut patienter encore un peu afin que le soleil vienne éclairer la toile. Des petits escargots s’aventurent timidement en haut des plantes. Je m’agenouille, m’allonge pour faire quelques images. Mes vêtements sont trempés par la rosée. Je sens le froid me prénétrer par les épaules. L’astre blanc monte irrésistiblement silencieux. La lumière change, l’atmosphère se réchauffe. En lisière de forêt des “lauxanidae” se prélassent sur des larges feuilles et jouent un peu à cache cache avec l’objectif. Sur le plateau calcaire en plein soleil, les papillons commencent à virevolter en tous sens. Je peine à photographier les “Azurés” et les “Tabacs d’Espagne” (Argynnis paphia) qui s’enfuient à mes moindres mouvements. Il est déjà 9 h. C’est le moment de ranger le matériel et de laisser la nature reprendre ses droits. L’herbe foulée va se redresser et faire disparaître les traces de mon passage. Dans quelques heures, la zone sera redevenue sauvage comme elle l’était à mon arrivée. La lumière d’ici peu aura perdu de sa douceur enveloppante et imposera ce que j’appelle en me moquant, la bonne lumière pour les touristes. 

L’atelier Philippe Rault

C’est après avoir arpenté les quelques pavés de son entrée, et passé la salle d’accueil, que se découvre l’Atelier Philippe Rault. Plus qu’un atelier, c’est une véritable antre qui semble cacher des trésors dans les zones les plus mystérieuses.philippe_rault_01

Le plafond est bas, noirci par le temps mais aussi par le feu qui jaillit de temps à autre de la forge. Le regard ne sait pas où se poser dans cet enchevêtrement de métal jaune, de bois et d’outils de toute formes, aux fonctions insoupçonnées. Ici, c’est le royaume du facteur d’instruments à vents, cuivres et percussions. Philippe Rault réalise la gamme complète des cuivres simples et naturels.

De la plaque de laiton ou de cuivre (matière première de l’artisan), il dessine et patronne : bugles, clairons, cors, trompes de chasse, trompettes… Il trace et effectue sa prémière découpe avec la cisaille. C’est de cette forme si simple, si brute, que naîtront dans les mains expertes de l’homme de l’art, qui un clairon sib, qui une trompette flamboyante.

L’homme entretient, répare et restaure aussi sans discernement tous les cuivres naturels, à pistons et à coulisses ainsi que les instruments à clés. Philippe Rault déploie aussi son talent sur la réalisation d’instruments de batterie et de percussions. Il est le seul à réaliser les peaux en plastique métrique. Il partage son savoir faire et les techniques traditionnelles de fabrication et de restauration avec son élève Naoya Miyaké (tromboniste), arrivé du Japon en 2000.

Philippe Rault, Maître d’Art a pris officiellement sa retraite le 30 décembre 2011. Naoya Miyaké en s’affirmant comme son digne successeur, lui a succédé en reprenant l’atelier le 1er janvier 2012.

Pour en savoir plus sur les Maîtres d’Art :
www.maitresdart.com

Plein soleil pour Ahaé.

Chaleur écrasante dans le parc de Versailles.

Chaleur écrasante dans le parc de Versailles.

Il fallait sans doute être un peu fou pour vouloir se promener en ce lundi 22 juillet. Tout annonçait une journée particulièrement brûlante et ce fut le cas.
À Versailles, le Roi Soleil ne brillait pas seulement dans son château, mais aussi sur son parc avec une superbe énergie. C’est André Le Nôtre qui me fit un signa salvateur. À l’occasion du 400e anniversaire de la naissance d’André Le Nôtre, le chateau de Versailles organise dans les galeries de l’Orangerie une fabuleuse exposition photo. “Fenêtre sur l’extraordinaire” tel est le thème de cette présentation de plus de 200 images du coréen Ahaé. C’est une vivifiante ode à la vie et à la beauté que tente de dépeindre Ahaé à travers le rythme des journées, du lever du soleil à la tombée de la nuit… le tout à partir de sa fenêtre. L’Orangerie est très rarement ouverte et cette exception justifie largement la visite tant le bâtiment impresionne. Par cette caniculaire journée, je ne pouvais qu’apprécier la majesté de l’architecture, la qualité de l’exposition et la fraîcheur distillée par un bâtiment aux murs de 5 m d’épaisseur. Je vous en recommande vivement la visite.

Le site de l’Orangerie
Le site d’Ahaé

Cotentin à la marge

Dunes d'Hattainville

Dunes d’Hattainville

De lourdes barres roulantes et broyantes, filent à l’unisson des vents venus au-delà des îles anglo-normandes. L’obscurité chahute avec le demi-jour. Chaque déchirure révèle soudainement les êtres et les choses qui se trouvent là ! De son voile de carbone le ciel enveloppe le paysage, le malaxe jusqu’à plus fin pour en extraire toute sa débonnaire douceur et lui donne alors une dimension fictionnelle. La presqu’île du Cotentin s’avance  en mer au plus profond, telle un navire dont les flancs blanchis d’écume narguent le ressac. Au-dessus de ma tête, lumière et pénombre se livrent un combat digne d’une tragédie wagnérienne. Les chemins d’hier, creux et ombragés, si prompts à protéger contre le souffle né de la mer, sont devenus opaques et profonds, et semblent diriger le promeneur vers la couche d’une sombre créature diabolique.

Les “mielles” sauvages et dénudées, courbent l’échine, assouplissent leurs crêtes sous les assauts du vent. Arbres et oyats plongent leurs racines torturées au plus profond de la matrice pour gagner une fois encore le droit à la vie. Ruisselant sous une lumière crépusculaire, le sentier à hauteur de goéland, n’est plus qu’une vilaine scarification faite à la côte et tente par un dernier détour d’honorer quelques religieuses ruines.

Sous la chapelle, au plus sombre d’une anfractuosité, en veines rougissantes, affleurant la roche noire encore humide, le sang indélébile du dragon de Carteret – vaincu par St-Germain-Le-Scot – renaît à chaque jusant dans l’imagination des hommes.

Sur le havre, dans un appel pathétique, quelques épaves rongées au sel, tentent d’attirer le regard en espérant entreprendre – peut-être – un ultime voyage. Déconstruits, reconstruits, remaniés ou défigurés, manoirs et propriétés sont figés dans leur silence. Nulle cour ne résonne des murmures de la vie. Nul parc ne s’anime des jeux d’enfants. La lumière passe indifférente sur les façades alors que dans l’ombre des tours se cachent de glaciales tragédies. Le chateau des Ravalet n’a t’il pas accueilli les amours incestueuses de Julien de Ravalet et de sa sœur Marguerite. Les deux beaux jeunes gens, dont la tendresse remontait à l’enfance furent décapités en place de grève par une froide journée de décembre à Paris en 1603.

Inspiré par cette terre bordée par la mer et envahie par les marais, l’esprit de Jules Amédée Barbey d’Aurevilly n’a de cesse de vivre dans chaque lieu, dans chaque demeure autour de Saint-Sauveur-Le-Vicomte. Sa modeste tombe, désertée, soupire d’ennui dans l’ombre bleue du massif donjon, monolithique survivant de la guerre de Cent Ans.

Sous mes yeux, tout se recrée, se fond et se confond. Ma vision n’est plus que le mélange de la matière brute saisie à celle de sédiments personnels longuements maturés. Chaque élément qui m’entoure devient le déclencheur d’émotions plus profondes, naviguant en basses eaux. Il me faut laisser la force du visuel s’éroder lentement. M’en imprégner pour mieux le rendre, non pas conforme à ce que les autres en attendent, mais l’habiter de manière intime, le faire renaître chargé de sa proppre histoire. Ainsi, l’image n’est plus une image, mais devient un lieu incarné. Le brillant de l’éphémère immédiateté s’efface au profit de l’essence même du sujet. Il ne s’agit plus de reproduire les choses telles qu’elles sont vues, mais telles qu’elles sont ressenties. La couleur a déserté les images. Comme si l’habit chromatique avait été trop clinquant, trop “m’as-tu-vu”. Les musiciens le savent bien, la partition a beau être écrite en noir et blanc, l’interprétation libère les plus belles “couleurs que l’œil puisse entendre”.

(Clic sur l’image)

Retrouvez mes photos sur le site Regard Perdu.

Algérie. Une mauvaise guerre

Raymond et Yvon Lebrun à Carteret (Manche)

Raymond Hamel et Yvon Le Brun à Carteret (Manche). Le 8 mai 2013

Je les ai rencontrés tous deux s’en allant tranquillement, leurs drapeaux sous le bras avec sans doute le sentiment d’un devoir de mémoire bien accompli.

Il y avait peu de monde pour cette commémoration du 8 mai 1944 à Carteret (Manche). C’est une évidence, presque plus personne ne se soucie de commémorer des événements qui s’éloignent de nos mémoires. Et puis, les anciens combattants, ceux de 14/18, ne vivent plus que dans les récits. Ceux de la dernière guerre sont de moins en moins nombreux et bientôt auront rejoint leurs camarades de combat. On parle toujours de 39/45 comme l’évidence de la dernière guerre. Mais n’aurait t’on pas la mémoire sélective ou mal formée pour oublier que la guerre d’Algérie fut une véritable guerre et que des milliers de soldats français sont morts sur une terre qu’ils n’avaient pas choisie.

Raymond Hamel et Yvon Le Brun, en ce jour du 8 mai 2013 représentent ces anciens combattants de la guerre d’Algérie. Qui étaient-ils ces discrets “soldats” d’une guerre qui eut du mal à dire son nom. Entre 1954 et 1962, près de 2 millions de jeunes soldats français se sont succédés en Algérie. De tous temps les politiques ont su mentir au peuple pour mener à bien leurs desseins. L’intervention en Algérie fut appelée “simple opération de maintien de l’ordre”. Il était question de réduire quelques rebelles menaçant la république française en Algérie. Et la population trompée crut longtemps cette fable. En quelque sorte, le contingent d’appelés et leurs familles imaginèrent vivre une “expérience touristique”. N’est-il pas habituel de dire que les voyages forment la jeunesse !

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Yvon Le Brun, jeune appelé en Algérie.

Cette jeunesse là, elle est revenue…ou pas ! Ces adolescents qui avaient 20 ans se sont révélés en hommes, mais en hommes morcelés, meurtris avec le sentiment d’avoir fait une guerre sans vraiment la comprendre. De retour en France, à la descente des trains, des bateaux, ils sont totalement dépaysés. L’accueil sur la terre patrie est bien indifférent, voire hostile. Ce n’est pas la fête tant attendue qui célèbre le retour des héros valeureux, ou des combattants d’une juste cause. Les appelés trouvent peu de soutien, peu d’écoute, comme si cette guerre de l’autre côté de la Méditerranée avait anesthésié peu à peu la population française. L’époque a changé, la France est entrée dans une nouvelle modernité. L’heure est à l’exubérance, à l’outrance. C’est l’heure des “yé-yé”, Claude François est une idole, outre manche les Beatles enregistrent leur premier disque. Personne ne veut plus rien avoir à faire avec cette “guerre” qui a divisé les Français. Alors, les appelés d’Algérie ont enfoui leur peur, leur sueur, leur fatigue, leur détresse au plus profond d’eux-mêmes. Leur parole s’est faite discrète, secrète même pour ne s’ouvrir qu’en de rares occasions.

L'album photo revoit le jour après des années de mise à l'écart.

L’album photo revoit le jour après des années de mise à l’écart.

C’est la femme d’Yvon Le Brun, Sabina, qui est allé cherché l’album photos là-haut, enfoui dans l’armoire de la chambre. Cet album à la couverture de cuir, c’est celui qui raconte en quelques pages toute la vie gâchée d’un adolescent parti à 19 ans contre son gré en Algérie. Il saisit l’album que lui tend Sabina.
— Ça fait longtemps que je ne l’ai pas vu celui-là ! Les 3/4 de mes photos, c’est ma sœur aînée qui les a. Quand j’écrivais, j’envoyais des photos. C’est elle qui les récupérait. J’avais envoyé des photos qui étaient assez “dures”. Elle n’a jamais voulu me les rendre. Elle ne veut même pas que je les regarde. Elle me dit “ça va te faire des misères !”.

L'ennui en poste au régiment. Yvon Le brun préfère assurer ses fonctions de radiotélégraphiste sue le terrain.

L’ennui en poste au régiment. Yvon Le brun préfère assurer ses fonctions de radiotélégraphiste sur le terrain.

Le regard s’attarde sur les premières photos dévoilées. En silence. Yvon prend son temps. Il plonge lentement dans un quotidien figé là en noir et blanc ou en sépia. Des toiles de tentes à perte de vue, des hommes en djellaba, du désert, des pierres, de la misère surtout. Le premier choc.
— Oh là là ! Je n’ai pas regardé ces photos au moins depuis 40 ans. Ça me fait tout drôle.

Dans l’album, sur les pages de gauche il ne reste plus que quelques traces de colle. Les photos ont disparu. Yvon ne sait plus ou elles sont.
— Ça, c’est Trézel. Il y avait un rassemblement. Un colonel  nous a annoncé “On vous maintient 3 mois de plus. Qu’est-ce que c’est que 3 mois dans la vie d’un homme !” Là, à l’annonce, il y a des mecs qui sont tombés dans les pommes. Faire 3 mois de plus, c’était augmenter le risque d’y passer. Moi, j’étais radio télégraphiste (morse). Quand il y avait un officier avec un radio à côté, c’est le radio qui dégustait. L’ennemi savait qu’un officier ou une compagnie ne pouvait plus rien faire sans le radio.

Sur le terrain avec les "potes.

Sur le terrain avec les “potes.

En tournant les pages, le papier cristal de protection se froisse, brise le silence. Les noms des copains peu à peu reviennent au regard des photos. Les souvenirs se font aussi plus précis. Il pose un doigt assuré sur certains visages. Hésite sur d’autres. Il me montre.
— Là, c’étaient des “potes”. Lui il a été blessé. Lui, c’était le marrant de la bande. Vous voyez, ce n’est pas du baratin ce que je vous raconte !

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Le colonel Bigeard comprend très vite l’intérêt de l’utilisation des hélicoptères (Vertol H-21C ou “bananes volantes”)

Yvon confirme de temps à autre l’authenticité de son récit, comme si ce dernier pouvait être mis en cause ou contrarié. Il y a un besoin de rendre palpable “l’indicible”.
— Au régiment, je me faisais “chier”. Pour moi, ce n’était pas ça. Il me fallait être sur le terrain malgré le danger. Lors d’une opération héliportée, un gars s’est fichu de moi parce que je me suis allongé à la porte de l’hélico. Pauvre gars. La différence c’est que moi je suis vivant et que lui est mort. Il a pris une balle. Plus vous êtes à plat, moins vous êtes une cible, surtout à une porte d’hélicoptère comme ça. L’hélico restait toujours à 2, 3 mètres du sol. Il fallait sauter. J’ai fait passer la “gégène” devant moi et j’ai plongé la tête la première. Ça m’a sauvé.

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Automitrailleuse légère Panhard.

L’homme parfois se redresse de la table en croisant les bras comme dans un geste de défense. Il semble retenir ses sentiments ou peut-être se protéger de lui-même. Peur de trop en dire, crainte de se laisser submerger par ses sentiments, par ses souvenirs. De temps en temps une larme se forme au coin de ses yeux. La souffrance intérieure est sans doute trop forte. Je ne veux pas trop insister. Je laisse à Yvon l’initiative du rythme de son récit.
— On allait vers une ville…je ne me souviens plus du nom de la ville. Nous étions dans le 4×4. Là, on était 3 radios, plus un homme de garde et le chauffeur, un normand que j’aimerai bien retrouver. Et, on se fait klaxonner par une jeep derrière nous qui avait visiblement une urgence. C’était un gradé. Notre chauffeur râle un peu, puis s’écarte pour le laisser passer. La jeep nous double à toute vitesse. 150 mètres plus loin…une boule de feu. Il a sauté sur une mine. Logiquement, c’était pour nous car on était en tête. Ça, ça fait réfléchir. La chance, le hasard, la destinée…Pourquoi lui au lieu de nous ? On en a parlé longtemps entre nous et dans la compagnie.

Sur les photos, je ne parviens pas à reconnaître Yvon. Je vois des jeunes hommes, unis, souriants, un bras posé sur l’épaule du copain, de l’ami en signe de fraternité. Il y a les visages de ceux qui sont morts, qui resteront à jamais imprimés autant dans la mémoire que sur le papier photo. Il me parle de la torture qu’il n’acceptait pas. Mais pour lui, c’était des actes pratiqués par des “équipes spéciales”. Il était rare que des appelés soient mêlés à ces exactions.
— Une fois, j’ai assisté à une scène de torture. J’ai fait halte là à tout ça. Je me suis présenté au garde à vous au capitaine et je lui ai dit que ça ne devait pas exister ça ! Mais enfin, dans le fond…après, ils faisaient ça ailleurs. Il ne fallait pas se plaindre, au 1er régiment on était “propre”. Il y avait une sorte de respect. C’est quand même un régiment qui a un sacré historique. Fondé en 1479 par Louis XI. “Praeteriti fides exemplum que futuri” (Fidélité au passé et exemple pour l’avenir). On devait aussi honorer notre devise.

Au moment du départ en opération, Yvon Le Brun agenouillé à droite sur la photo.

Au moment du départ en opération, Yvon Le Brun agenouillé à droite sur la photo.

Les moments de silence se font de plus en plus présents. Yvon me parle encore un peu de son retour en France, des regrets, du mal qu’il aura à vivre après avoir refermé l’album photos. Je comprends qu’il est temps de clore bientôt l’enregistrement.
— Le retour, s’est fait dans l’indifférence. Il fallait ménager les susceptibilités du peuple. Ma mère, elle, croyait que j’étais en vacances là-bas. La radio racontait ce qu’elle voulait. Que des mensonges. Les parents croyaient qu’on était en mission de maintien de l’ordre. Maintien de l’ordre, qu’est ce que ça veut dire. Pour éviter les manifestations. Mais, ce n’était pas du tout ça. C’est pour ça qu’on n’aime pas en parler. Là, j’ai l’estomac noué. Je suis quelqu’un d’assez calme. Mais ça, ça me travaille. Et si j’en parle, pendant 8 jours je ne vais pas dormir. Il y a trop de souvenirs qui reviennent et là, c’est pas bon. J’ai réussi à chasser ça. À ne pas en parler. Même à mes enfants quand ils voulaient savoir quelque chose…j’expliquais pourquoi je ne pouvais pas. Comme ça, ils comprenaient et n’insistaient pas trop. La guerre est un traumatisme que l’on ne peut pas comprendre quand on ne l’a pas vécue. Surtout ce genre de guerre, c’est dégueulasse, c’est pas beau.

La guerre d’Algérie aura tué plus de 30 000 soldats français – des milliers d’autres atteints de graves séquelles – 400 000 Algériens tués – 1 million 500 000 paysans déplacés.algerie_yvon lebrun_07

Yvon Le Brun, a été incorporé en 1956 (contingent 56/2C) à l’âge de 19 ans en Algérie pour une durée de 33 mois au 1er Régiment d’Infanterie . En 33 mois de guerre, il n’a obtenu que 12 jours de permission pour voir sa famille. Il était radiotélégraphiste (transmission radio des messages en morse). Aujourd’hui agé de 76 ans, c’est un membre de longue date de l’UNC (Union des Anciens Combattants). Chaque année, les anciens d’Algérie voient leur rangs diminuer. C’est une partie de notre mémoire collective qui disparaît.

Je remercie Yvon Le Brun pour avoir accepté de me livrer un peu de sa vie passée, malgré les souffrances que ma présence a dû raviver. Merci aussi à Sabina pour son accueil. Et un salut particulier à son très cher ami Raymond Hamel avec lequel il peut partager sans un mot sa jeunesse volée.