Métairie de Kercadio

Voile morne et gris, impalpable, tu me transis jusqu’aux os. Tu inondes le moindre espace de mes pensées. Tu convoites de ton humide haleine tout ce que tu imprègnes. 
Dans ta nébulosité glaciale se dessine la maison de quelque gaillard qui a déposé là, car trop pressé de fondre sur quelque ripaille alcoolisée, son plus beau costume. De la porte d’entrée, depuis longtemps il en a oublié la clé et aussi l’usage tant et si bien que chacun peut désormais envahir son logis à tout moment. 
Quand l’hôte se retire brutalement du foyer, et laisse à l’irrespectueux passeur sa demeure béante, offerte au bord de la route comme une prostituée attisant le regard, c’est l’occasion d’assouvir sa fringale dévastatrice.
Comme une panse éventrée, une alcôve vomit un flot de bouteilles sur un parquet gris de terre et de merde. Quand je vous disais que le gaillard ici, devait être un sacré cuitard. Malgré cet étalage inattendu et généreux, aucune d’entre elle ne semble avoir trouvé preneur. Quel poison sirupeux et mystérieux, emplit donc ces chopines encore encapsulées ?

Dans les pièces misérables de leur nudité, badigeonnées à la chaux, torchées de poussière grise et de moisissures, des étoffes autrefois maîtresses pendent ou se lovent dans un coin à la manière d’un serpent assoupi. 
Dans l’attente de l’effondrement du plancher supérieur, s’infiltrant par des fenestrons aux allures de meurtrières, les ombres et les lumières s’amusent en sous-sol. Des croûtes s’amoncellent formant une carapace, imitant la peau d’un monstre préhistorique. Tant d’animaux d’un bestiaire fantastique peuvent se cacher dans des alcôves sombres !

C’est le refuge du maudit, de la part occulte qui demeure dans les bas fonds avec son cortège de férocité et d’horreur. Des liens avoisinent une chaise branlante. Une chemise piétinée, maculée, gît abandonnée. Empreinte blafarde d’une âme peut-être à la recherche de son être. Quel drame serait donc survenu dans cette antre ? Les murs en ont t’ils gravé la mémoire ?
Dans ce pays de contes et de légendes, je ressens soudain le poids d’une réalité qui se dérobe. Mon esprit tout entier plein de certitudes, s’en trouve brutalement étourdi et profondément confus. Sans attendre d’autres altérations, je me projette au-delà du perron dans l’humeur invariablement poisseuse du dehors.

7 réflexions sur « Métairie de Kercadio »

  1. très émouvant, mais glaçant récit emprunt d’une vérité toute particulière.
    les photos, énigmatiques, accompagnent magnifiquement un texte très enlevé.
    bravo!

  2. Magnifique départ pour un thriller remarquablement écrit et captivant…..le reportage photos idem…j’aime aussi particulièrement le visuel de la veste et la fenêtre habillée de lierre et de toiles d’araignée…..Le confinement devrait te permettre de t’attaquer vraiment à l’écriture. Poursuivre par ex. le texte ci-dessus …….

  3. Serge , j’ avais acheté une maison comme celle là , en bretagne ….avec les mêles détails , des tonnes aussi de bouteilles de gros rouge dans le grenier , et au milieu de tout fatras , une croix de guerre encadrée , sans doute une de la guerre 14-18 . Emouvant ton reportage ….on voit aussi des tags! mais le costume accroché au porte mantteau , qui me touche le plus 🙂 bon confinement à bientôt , tu es en région parisienne ?

  4. Si la métairie pouvait parler bon il ne reste plus qu’à la faire revivre et raconter tout ce qu’elle a vécu une couche de peinture et çà repart, en tout cas çà fait gambader notre imagination,

  5. L’art de sublimer et de rendre beau le passage de l’être humain dans ces humbles traces de vie ;Belle interprétation Serge !On a envie d’en faire un poème ou un tableau .

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